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Remise de la médaille d'officier de la Légion d'honneur par le général (h) Yvon LUCAS
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09 février 2023
Marguerite JAUZELON

Décès - d'une résistante réunionnaise : Marguerite JAUZELON

Cathédrale de Saint Denis. 12 février 2023

Chère Janine, et vous Mathias et Aymery les petits-fils de Madame Marguerite Jauzelon, votre maman et grand-mère nous réunit aujourd’hui autour d’elle, autour de vous, pour partager votre chagrin. Votre deuil est aussi notre deuil. Marguerite s’en est allée ... Quel parcours !

Madame la présidente de la Région, Mesdames, Messieurs, chers amis, je voudrais évoquer rapidement le parcours remarquable de Marguerite Jauzelon. Je le fais au nom de notre section Réunion de la Société des Membres de la Légion d’Honneur dont elle faisait partie.

Je le fais avec le cœur, et avec cette simplicité qui a toujours été la manière de faire de Marguerite, même quand elle faisait de si grandes choses.

Marguerite Jauzelon est née à Ravine Creuse (St André). Il y a de cela presque 106 ans (25 juillet 1917) Elle rêvait d’être aviatrice : folie pour son père… Alors ce sera l’école normale, et institutrice.

            Le 23 novembre 1943, un an après le ralliement de La Réunion à la France Libre, jeune institutrice de 26 ans, votre patriotisme piaffant d’impatience, vous vous engagez, Marguerite, pour servir sur le front des combats comme ambulancière. Vous êtes une cinquantaine de jeunes réunionnaises à embarquer sur le Galliéni.

À Madagascar au capitaine qui décide que vous serez secrétaire, vous répliquez : « Mon capitaine, je me suis engagée pour être ambulancière. Je ne veux pas rester dans un bureau. » Il insiste : « Taisez-vous, Jauzelon, vous devez obéir. » C’était mal vous connaître. Vous vous obstinez : « ambulancière, je libère un homme qui pourra aller se battre ». Le capitaine s’incline.

En mai 1944, départ pour l’Algérie. A Alger, joie et fierté de défiler le 14 juillet 1944 devant le général de Gaulle. A Oran, au 431ème Bataillon Médical Colonial, vous êtes nommée chef de voiture d’une ambulance qu’avec votre coéquipière vous baptisez « L’Hirondelle ».

Le 29 juillet 1944 on quitte Oran à bord du Sidi-Brahim. Attaque aérienne. Des bateaux sont touchés. Le Sidi-Brahim descend un avion allemand. À Ajaccio derniers réglages. Le débarquement en Provence a commencé le 15 août 1944. Le 21 août, Marguerite, vous embarquez sur un LST de l’US Navy, et le 23 août au matin, au volant de votre « Hirondelle » vous foncez vers la plage de la Nartelle près de Ste Maxime. Vous foulez pour la première fois le sol de la métropole : « Quelle émotion ! racontez-vous. Autour de nous le canon tonne. Les montagnes flambent. Cette fois-ci, c’est bel et bien le front. » 

Direction Cavalaire, puis Toulon. A Toulon, première mission des ambulancières : évacuer les blessés du Fort Ste Marguerite où les milliers d’Allemands qui y sont retranchés se sont rendus. 26 août Salon de Provence, Solliès-Pont, Pont St Esprit et remontée de la vallée du Rhône avec la 1ère Armée. Puis Autun. Puis la terrible bataille des Vosges (3 octobre au 8 décembre 1944), puis Colmar.

« Confrontée à la mort, à l’horreur des blessures et des peines », le quotidien c’est nuit et jour, charger des blessés, les soigner, les réconforter.  Un médecin vous a surnommée « réglisse », à cause, disait-il, de votre « douceur auprès des blessés », même ennemis. Comme ce jeune allemand qui, se sentant mourir, dépose un baiser sur votre main et vous demande d’écrire pour lui à sa maman. Ce que vous faites en vous disant « que si français et allemands, et tous les peuples, pouvaient se donner la main, il n’y aurait plus de guerres. »

L’hiver 44-45 est rude en Alsace pour nos braves petites réunionnaises qui découvrent la conduite sur neige et verglas, parfois de nuit feux éteints. Guère le temps d’avoir peur. Guère le temps de récupérer. On dort parfois à même le sol dans son sac de couchage, dès qu’un répit le permet.

Le Rhin franchi sur un pont de bateaux avec la 1ère Armée, on entre en Allemagne en avril 1945. L’évacuation des blessés continue : Kandel, Pforzeim, Tübingen et … le 8 mai 1945 à Kleininstingen « on danse, on chante avec les habitants » … L’Allemagne a capitulé.

Vous êtes neuf ambulancières réunionnaises basées à Reichenau sur les bords du lac de Constance. Non loin de là, à Mainau sur le même lac de Constance deux réunionnais, des résistants déportés, survivants du camp de concentration de Mauthausen, sont soignés dans un château servant d’hôpital ; il s’agit de Teddy Piat et de Jean Joly. Ce même Jean Joly vous fera chevalier de la LH le 30 août 2002, ici à la caserne Lambert.

Démobilisée, vous rentrez à la Réunion avec la Croix de la Libération, la Croix du combattant, la Croix du combattant volontaire et la médaille commémorative de la guerre de 1939-45. De nouveau enseignante, à St André avant de rejoindre l’école d’application à Saint Denis, vous concluez : « Et la vie continue …J’ai conscience d’avoir effectué une bonne action au cours de ma vie ». Une bonne action, tout simplement ! Quelle modestie ! Bel exemple pour ces jeunes, auprès de qui vous n’avez cessé de témoigner pendant de longues années après votre retraite, témoignage de votre expérience, de votre foi en la patrie, de la valeur du dévouement et du civisme, tout en les exhortant à persévérer dans l’effort pour réaliser leur idéal.

En la personne de Madame Jauzelon, il ne faut pas se contenter d’admirer une figure du passé, si belle et si grande soit cette figure. Marguerite Jauzelon est surtout une messagère d’espoir. A. de Vigny a écrit que « L’honneur c’est la poésie du devoir » ; moi j’ajoute que Marguerite Jauzelon a su porter le devoir sur les sommets de l’honneur. 

Aussi je suis particulièrement fier, chère Marguerite, d’avoir eu l’honneur d’accrocher sur votre poitrine les insignes d’officier de la Légion d’Honneur. C’était le 18 juin 2012 dans les salons de la Préfecture de La Réunion.

Pour nous tous vous resterez une référence, dont il nous faudra maintenant cultiver le souvenir en essayant de suivre votre exemple.

Vous Janine, sa fille, vous ses petits-fils, vous ses arrière-petits-enfants, vous pouvez être fiers de votre maman, de votre grand-mère, de votre arrière-grand-mère.

Une bien belle et bien grande figure !

Adieu Marguerite.

Yvon LUCAS

 

 

 



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